Archives mensuelles : juillet 2015

Être artiste aujourd’hui en Turquie

© DR Contemplations Project - CRT St Blaise

© DR Contemplations Project – CRT St Blaise

Conférence inscrite dans le cadre d’un séminaire s’interrogeant sur La Culture des autres, proposé à l’initiative du Centre de Recherches Théâtrales Saint-Blaise par Ali Ihsan Kaleci, directeur et Erica Letailleur, coordinatrice du programme Contemplations Project.

Ce séminaire s’inscrit dans un « dialogue artistique et citoyen entre les habitants de deux régions du monde que beaucoup de choses opposent, en apparence : le quartier Saint-Blaise à Paris et les villages rupestres de Cappadoce, au centre de la Turquie. » Au programme, des ateliers, des spectacles et des rencontres et cette conférence sur le thème : Être artiste aujourd’hui en Turquie.

Deux intervenants, artistes invités accompagnés d’une délégation professionnelle, ont parlé de la problématique du spectacle vivant en Turquie : Mustafa Avkiran s’est exprimé sur les rapports entre l’artiste et l’institution à partir de son expérience théâtrale : L’assèchement des institutions était son sujet. Irfan Gürdal a parlé du contexte musical en Turquie, à partir de son parcours de musicien et de musicologue. Son intervention portait sur le thème : Aujourd’hui, la culture musicale dans le monde turcophone.

Ali Ihsan Kaleci a introduit le sujet et présenté les invités : Après avoir dirigé la Scène Nationale d’Antalya et produit de nombreux spectacles dans le réseau des scènes nationales de Turquie, Mustafa Avkiran a fondé et dirigé le théâtre privé Garaj Istanbul jusqu’à sa fermeture récente, ainsi que le Théâtre ISM 2 Katr. Il est aussi l’un des acteurs les plus connus du grand public turc par les nombreux films et séries dans lesquels il a tourné. Formé au Conservatoire dans les années 80, Mustafa Avkiran entre dans la troupe du Théâtre National, seule structure du pays permettant aux acteurs d’exercer leur métier. Lors d’un voyage à Vienne, en 1991 il fait des rencontres essentielles explique-t-il, avec trois metteurs en scène emblématiques : Ariane Mnouchkine, Peter Brook et Peter Stein mais a l’obligation de travailler sous l’égide de l’Etat Turc. Il s’installe alors en Europe pendant deux ans.

Proposition lui est ensuite faite de créer un Théâtre National à Antalya, ville du sud de la Turquie, ce qu’il fait. La troupe remporte de nombreux Prix, voyage en Europe, travaille dans les villages, ainsi qu’avec les amateurs. Elle s’implique dans le tissu local et à l’échelle territoriale, de manière relativement indépendante cherchant à faire évoluer les rapports entre artistes et équipe administrative. Il a pour objectif de démocratiser la structure, de faire que les choix artistiques deviennent collectifs, mais l’Etat avec lequel il débat pied à pied ne le suit pas. Lors d’un changement de Gouvernement, le virage radical d’un nouveau Ministre de la Culture conduit cinq directeurs de théâtres nationaux à la démission.

La suite du parcours de Mustafa Avkiran indique son impérative nécessité d’une recherche de liberté dans la création. En 1995, il quitte le théâtre traditionnel et se rapproche de l’avant-garde, il crée Le Théâtre de la 5ème rue à Istanbul, un centre d’art ouvert, situé dans un immeuble appartenant à une Fondation arménienne. Quelques années plus tard la Fondation est expulsée de l’immeuble et avec elle la Compagnie qui perd donc son lieu et son outil de travail. En 2005, Mustafa Avkiran qui poursuit sa route crée un nouvel espace, Garaj à Istanbul, cet ancien garage de 600 m2, une grande première pour la Turquie, devient un lieu artistique pluridisciplinaire mais rencontre de nombreuses embûches pour financer les spectacles.

Aujourd’hui un certain pessimisme se mêle à ses projets, et une certaine lassitude devant la non-implication de l’Etat pour l’art et la culture, pour les artistes. Pour lui, « le théâtre doit répondre à une nécessité » alors qu’il fait le cruel constat « qu’être artiste n’est guère nécessaire aux yeux des autres »… Il prend l’exemple du Centre d’Art Atatürk laissé à l’abandon et que personne ne souhaite sauver et parle de tentatives d’expériences collectives comme ce projet avec cinq metteurs en scène, qui n’a pas abouti. Mustafa Avkiran s’intéresse aussi à la formation, et à la transmission des savoir-faire, et se consacre actuellement davantage au travail de la voix et du chant. Il crée des spectacles de type cabaret basé sur le vocal, ce qui le rend dit-il, très heureux, « car cela tisse un rapport plus intime aux spectateurs. » Sa conclusion est sévère quant aux relations entre l’Artiste et le Prince (l’Etat…), pour lui l’institution assèche la capacité à travailler librement.

Irfan Gürdal lui, parle de musique, un secteur dynamique en Turquie car « avant le théâtre, il y eut la musique » dit-il. Il intègre le Chœur national des musiques populaires de Turquie en 1987, en tant que joueur de saz – ce luth traditionnel, puis fonde quatre ans plus tard le Groupe de musiques turques Ipekyoluroute de la soie qui donne de nombreux concerts dans le pays ainsi qu’à l’étranger. Parallèlement il mène des recherches sur les traditions musicales des peuples turcs et turcophones, l’orchestration des musiques populaires au Kazakhstan et l’orchestration des bardes traditionnels – les asik, au Türkmenistan. Pendant quinze ans, de 1999 à 2014, il dirige l’Ensemble national des musiques du monde turc au sein du ministère de la Culture.

Lorsqu’il s’interroge sur la définition du monde turc, Irfan Gürdal parle d’une géographie très large – il y a des turcs dans de nombreux pays – et d’une langue enrichie par le mélange des populations suite aux exodes venant d’Orient (Kazakhstan, Kurdistan etc..) Il travaille depuis 1985 sur ces influences et croisements mélodiques, fonde en 2000 un Ensemble des musiques du monde turc. Il y travaille les rythmes, formes, modes, thématiques et micro-mélodies et tout ce qui « s’adresse au cœur humain » mélodiquement parlant. Il devient une tête chercheuse pour les instruments rares et pour les musiques jamais entendues. Il parle du statut du troubadour – personnalité importante jusqu’à d’affirmation de l’Islam – et de la culture orale permettant la transmission de la manière de vivre et s’arrogeant le droit de critiquer. Pour lui « le troubadour est à la source du théâtre, il utilise la voix, la musique, ainsi que l’animation ce qui construit l’incarnation du personnage ». Puis il oriente sa présentation sur le chamanisme, « une cérémonie sans partition, un voyage intérieur » – le chaman étant celui qui a tout vu – parle de l’instrument à deux cordes des chamans dont l’une, blanche, représente le Bien et l’autre, la noire, le Mal, et du Festival des Musiques Mystiques qu’il a créé. Il chante lui-même magnifiquement, offrant à son auditoire un échantillon de micro-mélodies vues d’AzerbaIdjan, de Turquie et de Turkménistan, de Crimée et des Balkans.

Dans la discussion qui a suivi ces présentations, de jeunes acteurs turcs se sont exprimés, partant des traditions, véritables outils de critique sociale : celle du conteur, du théâtre d’ombres Karagöz, de la peinture dans l’eau, et du grand potentiel qu’il y a à Istanbul avec des initiatives lancées comme Le jeu du milieu – Medda, parlant aussi de formation et de la nécessité de tuer le maître, surtout quand celui-ci dit : « Vous ne serez capable de rien »… Le théâtre cherchant plutôt le poète que la méthode.

Belle initiative que cette rencontre turco-française pour la qualité du dialogue, la confrontation des points de vue et le contexte de la création théâtrale et musicale dans ce grand pays mythique qu’est la Turquie.

Brigitte Rémer

La conférence s’est tenue le vendredi 19 juin 2015, au Jardin d’Agronomie Tropicale de Paris, en partenariat avec le CIRRAS – Centre international de Réflexion et de Recherche sur les Arts du Spectacle – direction Françoise Quillet.

 

Persona non grata

© DR Théâtre de la Ville

© DR Théâtre de la Ville

Texte de Ceren Ercan et Gülce Uğurlu – mise en scène Ceren Ercan – en turc, sur-titré en français.

Le spectacle se déroule en temps réel et au présent tout en croisant le passé immédiat. Il interroge les années 2011 à 2015 avec retours en arrière et arrêts sur événements, dans le contexte social et politique de pays à la recherche de démocratie. Un couple mixte turco-égyptien sert la métaphore, elle turque, lui égyptien, tous deux élevés à l’occidentale. Le récit se situe entre Le Caire et Istanbul, deux villes pour toile de fond.

31 mai 2013, dans un cercle de lumière, comme un conteur, Ali est à l’aéroport et cherche un taxi, après les contrôles d’usage de plus en plus pesants – 11 janvier 2011, Egypte. La révolte gronde Place Tahrir. Khaled demande à sa femme, Bahar, de ne pas sortir. Elle, a besoin d’une pharmacie. La BBC informe de la mort de Mohamed Bouazizi, jeune vendeur ambulant qui s’est immolé par le feu une semaine auparavant, le 4 janvier, en Tunisie. Le récit se fait par allers et retours entre les pays en révolution qui semblent avoir pour seule issue « soit Allah soit les militaires. » Les consignes circulent de ne pas trop parler aux autres, de se méfier de tout et de tous – 30 janvier 2011, Khaled, pilote de profession propose de quitter le pays, de partir, n’importe où, même à l’hôtel. La panique s’installe. « Chez moi, c’est désormais les hôtels, les avions… »

Passé – Maison lointaine 2012. Baris arrive à Istanbul et regagne la maison familiale où il retrouve sa sœur, Bahar et son beau-frère Khaled venus y séjourner quelque temps. Aux Etats-Unis, Baris avait des problèmes de colocation, il a approché la pauvreté, « on peut être SDF à New-York » raconte-t-il. De retour chez lui dans cette maison familiale occupée, chacun se raconte et regarde l’autre, proche et différent.

Passé – 2 maisons 2011. Baris et Bahar remontent le fil de leur enfance, de leur histoire. Baris fait l’inventaire des ses affaires et exprime son mécontentement de ne pas tout retrouver, distance et suspicion s’installent à travers les récits de vie : Istanbul, Etats-Unis, Le Caire. « C’est dur de rentrer chez soi sans boulot » dit l’un. « Il n’y a plus de chez soi, une chimère, une maison fantôme » dit l’autre. Dans tous les cas, le poids de la famille, comme une prison… Ces récits entrecroisés entre mémoire individuelle et mémoire collective, plongent au cœur de la réalité, montrant que le chaos social engendre chaos et désarroi personnel.

Le théâtre turc se fait rare sur les scènes de France, le spectacle proposé dans le cadre de Chantiers d’Europe est bienvenu, il donne à réfléchir sur l’altérité. Finement monté et dirigé par Ceren Ercan, les acteurs le portent avec vérité. La scénographie sert le propos avec efficacité et pertinence : une structure métallique pleine de cartons empilés qui font office de murs mais qui évoquent aussi le déplacement, le voyage et la mémoire, tantôt appartement au Caire ou maison d’Istanbul. Regard extérieur vers l’intérieur, jeu sur le dedans – l’intime, et le dehors – l’espace public, la vie quotidienne vue de la rue se superpose aux événements politiques, aux révoltes.

Brigitte Rémer

Avec Deniz Celigoğlu, Gülce Uğurlu, Bedir Bedir – traduction Mark Levitas – surtitrage Torticoli – Programme Chantiers d’Europe, à l’initiative du Théâtre de la Ville – spectacle présenté au Nouveau Théâtre de Montreuil-CDN, le 27 juin 2015.

A Memoir, de Krzystof Garbaczewski

© DR. Théâtre de la Ville

© DR. Théâtre de la Ville

Onirique peut être le mot clé résumant la perception qu’on a du film de Krzystof Garbaczewski. Ce jeune réalisateur polonais présente pour la première fois son travail en France, dans le cadre des Chantiers d’Europe, en avant-première et en première mondiale. Il est metteur en scène pour le théâtre et réalise avec A Memoir son premier film. Il est, par cette présentation, sous le seau du chiffre un, au commencement…

A Memoir s’inspire du roman de Marcel Proust, La Captive, dont s’était emparée à sa manière Chantal Akerman. Inspiré par A la Recherche du temps perdu – cinquième volume – « il n’est pas une adaptation, plutôt une aventure » dit le réalisateur au cours du débat qui a suivi la projection. C’est une rencontre avec ses acteurs – ceux de ses affinités électives – son monde, sa folie, c’est un voyage. Oublions Proust et laissons-nous séduire. « On y va ? » lance le réalisateur à sa troupe.

Gros plan sur les yeux bleus délavés et le visage ridé d’une femme, sur un air de nostalgie repris au violoncelle. Jeu extrême de la caméra, entre le flou et le net. Plans larges, angles de vue singuliers, costumes d’époque. Effleurements et rencontres dans les jardins aux oiseaux d’un manoir en majesté, ancien palais allemand abandonné situé en Silésie, entre Katowice et Wroclaw. Les couples se font et se défont, sans logique apparente, les parcours sont discontinus et la nature sauvage. Surexposition, reflets, méditation et solitude. Sensualité, sexualité, brume. Les personnages envahis par « la pneumonie de l’âme » se séparent et se retrouvent, entre hommes, entre femmes, entre couples, jusqu’au duel final. Il existe une certaine violence, froide et sourde, entre les personnages qui oscillent entre distance et proximité, le jeu social selon Proust ?

Les visages des jeunes femmes sont de porcelaine et les hommes aux larmes de glycérine, ténébreux. Intrigues. « Tu me fais peur » dit l’amante, dansant comme une vestale. Jeux de séduction, mousseline des robes et des voilages, envolées. Sifflements et dérèglement des mondes intérieurs. Le songe selon Marcel s’étire dans ce grand manoir vide, avec la caméra errant sur le plafond, des cris, des naufragés. Un cafard sur le dos, dans le creux d’une main.

La leçon de violon reste silencieuse et sans notes, partition envolée. Méphisto jette ses cartes et nargue le talent… Dans les cuisines, le jeu de l’immobilité et du mouvement, énigmatique comme une pendule arrêtée. Des corps nus, blancs. Un couple vu du haut… Et cette vieille dame qui au manoir, drapée d’hermine blanche, yeux bleus délavés de la première image, symbole d’une vieille aristocratie d’un autre temps, début XXème selon l’auteur de référence. L’image finale montre tous les personnages alignés devant un plan d’eau, indiquant que tout peut arriver.

Rentrant de Saint-Pétersbourg où il monte Macbeth pour le théâtre, Krzystof Garbaczewski énonce la liste de ses remerciements et dit n’avoir pas encore mis la dernière touche au film – il y manque par exemple le générique -. L’Institut Adam Mieckiewicz est un des partenaires. Le réalisateur parle de la genèse du film qu’il a d’abord travaillé au théâtre et qui s’appuie sur des acteurs qui se connaissaient bien entre eux : « le film repose sur les improvisations et sur mes intuitions » ajoute-t-il.

A Memoir se compose de fragments, sorte de morcellement de la mémoire. Les acteurs entre plateau et écran, le trouble et la beauté des images à partir d’un principe de surexposition, appellent la nostalgie. On pense au Grand Meaulnes d’Albicoco et aux tableaux de Vermeer.

« En sortant du théâtre, on doit avoir l’impression de s’éveiller de quelque sommeil bizarre dans lequel les choses les plus ordinaires avaient le charme étrange, impénétrable, caractéristique du rêve et qui ne peut se comparer à rien d’autre.» Cette pensée de Stanislaw Ignacy Witkiewicz pourrait s’appliquer au film de Garbaczewski.

Brigitte Rémer

A Memoir a été présenté au Café des Œillets – Théâtre de la Ville en présence du réalisateur le 27 juin 2015, dans le cadre du programme Chantiers d’Europe.

Le Mariage de Maria Braun

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© Arno Declair

D’après l’œuvre originale de Rainer Werner Fassbinder – mise en scène Thomas Ostermeier – acteurs de la Schaubühne Berlin – spectacle en allemand surtitré en français.

Thomas Ostermeier dirige la Schaubühne depuis plus de quinze ans et aime les défis. Il parcourt le monde avec sa troupe et les spectacles qu’il monte, côtoie les plus grands auteurs – Büchner et Ibsen, Wedekind et Shakespeare, Lars Noren et Thomas Mann. Il avait créé Le Mariage de Maria Braun en 2007 au Münchner Kammerspiele, en a donné une nouvelle lecture en 2014 à la Schaubühne, qu’il présente aujourd’hui à Paris.

Le film de Fassbinder tourné en 1979 pour point de départ, Ostermeier s’empare du scénario comme d’un canevas, même processus que pour Mort à Venise en 2013 à partir du scénario de Visconti : il ne s’agit pas de l’adaptation d’un film, mais de la re-création d’un langage et d’un univers. Le Mariage de Maria Braun se passe dans les années cinquante et met en scène le parcours d’une femme dans ce contexte de l’immédiat après-guerre. Des images d’archives en ouverture voyagent sur un rideau plissé en fond de scène, donnant de la distance et un certain flou dans l’évocation de l’histoire, empreinte de nazisme : une petite fille aux tresses blondes, des rangées de femmes au cordeau comme une armée, l’ébauche d’un geste sorte de salut fasciste, les champs de fleurs. La lecture de lettres d’amour adressées au Führer, glace.

Sur le plateau avant même l’entrée du public se trouvent une quinzaine de fauteuils répartis dans l’espace, quatre acteurs – qui tiendront chacun plusieurs rôles, masculins et féminins – et l’unique actrice Maria Braun, qui y divaguent. On se croirait dans un grand hall d’hôtel ou d’aéroport, ou à l’entrée d’un grand complexe de cinémas, et le scénario se met en marche.

Maria Braun est entraîneuse dans un bar pour GI en attendant le retour du front de son mari Hermann, – ils étaient juste mariés quand il a dû repartir à la guerre – mais elle apprend qu’il aurait été tué. Elle devient entraîneuse et s’éprend d’un soldat. Hermann pourtant réapparaît et dans une bagarre à trois qui dégénère, Maria tue son client-amant. A la surprise générale lors du procès, Hermann s’accuse du crime et se retrouve en prison. Et chacun poursuit sa vie. Maria fait la rencontre d’un industriel, Karl, dans un train et entretient avec lui une relation, alors que lui semble réellement amoureux. Elle se glisse dans la peau d’une ambitieuse femme d’affaire, tout en gardant le secret espoir de vivre un jour avec Hermann et continue à lui rendre visite en prison.

Quand il est libéré et que Maria vient le chercher, elle apprend qu’il est déjà parti à l’étranger, le temps de « redevenir un homme » lui dit-il dans un message. Il s’engage à lui envoyer chaque mois une rose, comme gage de sa fidélité. Maria marque la distance avec Karl l’industriel, déjà malade, et s’achète une maison dans laquelle elle vit seule, attendant le retour d’Hermann. Plus tard, après la mort de Karl, Hermann revient enfin et le testament leur lègue sa fortune…

Dans les mains de Thomas Ostermeier l’histoire n’est pas l’essentiel, c’est le climat de l’après-guerre sur fond de nazisme et de montée du capitalisme qui prévaut, et le parcours de Maria Braun. L’intelligence de la direction d’acteurs sert le propos, avec finesse et sensibilité : des personnages aux identités troubles joués par d’excellents acteurs qui mettent perruques et robes à vue pour se glisser dans les rôles de femmes, une Maria Braun pleine de solitude, merveilleusement interprétée par Ursina Lardi, à la beauté hiératique et froide comme métaphore de l’Allemagne ; un unique décor suggérant les lieux traversés – bars, prison ou maison – le compartiment d’un train ou l’intérieur d’une limousine.

Cette mise en scène, parfaite et glacée, est tailladée de moments d’intimité où sensualité et érotisme s’expriment par quelques gros plans vidéos, comme l’image d’un glissement de mains sur vêtements soyeux – Maria Braun par moments rappelle Marylin – et le temps se suspend, plan contre plan, jusqu’au clap final qui laisse l’histoire en interrogation.

Brigitte Rémer

avec : Thomas Bading, Robert Beyer, Moritz Gottwald, Ursina Lardi, Sebastian Schwarz – texte du scénario Peter Märthesheimer, Pea Fröhlich – scénographie Nina Wetzel – costumes Ulrike Gutbrod, Nina Wetzel – dramaturgie Julia Lochte, Florian Borchmeyer – musique Nils Ostendorf – vidéo Sébastien Dupouey – surtitrage en français Ulrich Menke

Théâtre de la Ville, 2 Place du Châtelet, du 25 juin au 3 juillet – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www. theatredelaville.com